“Il est trop facile de stigmatiser la jeunesse en la traitant d’incapable, d’inculte et de geignarde, tout en oubliant que les politiques publiques lui tournent le dos, qu’elle rencontre des difficultés plus rudes que ses aînés à l’entrée dans la vie professionnelle, que le chômage la guette même à la sortie de longues études, que le changement climatique compromet son avenir et que la dernière pandémie lui a volé ses années étudiantes. Autrement dit, quand certains clament que la jeunesse “c’était mieux avant”, ils oublient que le contexte l’était peut-être également.”
Voilà comment débute la conclusion du livre “Sois jeune et tais toi” de l’autrice Salomé Saqué. Je trouve que ce paragraphe résume bien le propos de son livre, alors j’ai pensé qu’il serait intéressant de vous mettre la citation en début d’article.
A travers de nombreux chiffres et une centaine de témoignages, Salomé Saqué a souhaité tordre le cou aux idées reçues qui circulent sur les jeunes.
Première partie du livre :
Dans la première partie de son livre, elle commence par expliquer qu’il est monnaie courante pour les aînés de critiquer leurs cadets, et ce depuis bien longtemps : en 720 av. J-C, le poète Hésiode écrivait “Je n’ai plus aucun espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui prend le commandement demain parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible” et le philosophe grec Socrate disait, lui, vers 400 av. J-C : “Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. A notre époque, les enfants sont des tyrans”
Au niveau économique, la génération des baby boomers a connu les Trente Glorieuses, une période de plein emploi et de prospérité. Cette situation s’est progressivement dégradée à partir des années 1970. Malgré les chocs pétroliers ou la fin du système de Bretton Woods, un jeune pouvait à cette époque espérer décrocher un CDI et à temps plein.
Salomé Saqué explique qu’“en 1980, date à laquelle l’emploi commence à devenir un véritable problème, le taux de chômage des 15-24 ans était de 11,6% ; il est de 18,9% en 2021” ; ou encore “le taux d’emploi précaire (intérim, CDD et contrats d’apprentissage) des 15-24 ans est passé de 17,3% à 52,6% entre 1982 et 2020”. A cause de cette fragilisation des trajectoires professionnelles, les jeunes sont de moins en moins bien payés, qu’il s’agisse du salaire de départ, ou de la progression salariale.
Par ailleurs, les classes moyennes inférieures pouvaient accéder à la propriété. La génération des baby boomers a bénéficié jusqu’en 1995 d’un contexte qui a facilité l’investissement immobilier avec la baisse des prix du logement dès 1965, le plein emploi et des taux d’intérêts souvent bas. Tandis que les jeunes peinent de plus en plus à acquérir un logement aujourd’hui.
Les jeunes sont également plus diplômés et ne sont pas pour autant mieux embauchés, car la croissance du nombre de diplômés n’a pas été proportionnelle à celle des emplois disponibles sur le marché. A diplôme égal, ils ne disposent pas des mêmes chances que leurs parents pour obtenir un emploi correct.
Ils vivent aussi plus dans la précarité. En 2019, les moins de 26 ans constituaient plus de la moitié des bénéficiaires des Restos du coeur. En 2018, le taux de précarité des plus de 50 ans était de 7%, contre 38% pour les 15-29 ans. Une grande partie des étudiants (40%) est donc obligée de cumuler un emploi avec ses études afin de subvenir à ses besoins.
Deuxième partie du livre :
Les jeunes interviewés par la journaliste sont préoccupés par le recul démocratique et les politiques sécuritaires qui se sont mises en place à la suite des attentats. Nombreux sont ceux à avoir entendu parler d’une loi en particulier y faisant référence parmi lesquelles la loi sur la surveillance (2015), la loi dite de sécurité globale (2021), la loi sur le renseignement et la lutte contre le terrorisme (2021) etc… Ils disent aussi se sentir “surveillés” par les nouvelles technologies.
Le changement climatique est également une préoccupation pour la quasi-totalité d’entre eux. Ceux-ci se disent angoissés, désespérés, et ils sont en moyenne plus informés que les plus âgés sur le réchauffement climatique et ses conséquences. Ils savent qu’ils seront plus touchés que leurs aînés. Ils sont ainsi plus dubitatifs à l’idée d’avoir des enfants à cause de ce phénomène. En plus de la crise écologique elle-même, ce qui plonge la jeunesse dans l’angoisse, c’est l’inaction de la part des adultes et des personnes au pouvoir et le fait que ce phénomène ne soit pas assez médiatisé ou qu’il y ait un mauvais traitement de l’information, les évènements climatiques n’étant pas toujours clairement reliés au réchauffement climatique.
Le gouvernement a notamment abaissé l’objectif de réduction des émissions de CO2 par an de 2,3% à 1,5%, et le glyphosate (considéré “cancérogène probable” par l’OMS) qui devait être interdit avant 2020 ne l’a finalement pas été.
Cette thématique participe donc à la démoralisation générale des jeunes.
La pandémie a également creusé la précarité et le pessimisme des jeunes et d’après la journaliste, peu d’aides ont été mises en place pour aider cette population. Ils ont perdu leur job étudiant qui constituait pour une bonne partie d’entre eux une large part de leur moyen de subsistance ; la grande majorité des jeunes bénéficiaires de l’aide alimentaire l’étaient pour la toute première fois et selon une étude de Co’p1 Solidarités étudiantes, un étudiant sur deux ne mangeait pas à sa faim en fin 2020.
Salomé Saqué note que des repas à 1€ ont été mis à disposition mais qu’ils sont ensuite devenus accessibles aux étudiants non boursiers uniquement, que le chèque psy a été jugé insuffisant à cause de lourdeurs administratives et du manque de psychologues agréés, ce qui fait que seulement 18 000 étudiants sur les 2,8 millions en France en ont bénéficié.
Dernier exemple, une aide au logement de 1000€ pour les jeunes actifs qui s’installent dans un nouveau logement, qui n’était plus disponible au bout d’un mois car le gouvernement avait sous-évalué le besoin de cette aide.
Entre les universités fermées, le nombre de stages à pourvoir qui a drastiquement chuté, nombreux sont les jeunes a déclarer que la pandémie a pénalisé leur cursus scolaire. Même ceux qui ont pu bénéficier d’un logement adéquat et d’un environnement familial agréable ont vu leur santé mentale se dégrader à cause de l’isolement et du manque de perspectives.
Troisième partie du livre :
Au niveau politique, on remarque une forte abstention chez les jeunes, qui s’explique d’une part par le phénomène de mal-inscription, qui fait que le changement d’adresse n’est pas automatique et que donc les jeunes sont encore parfois inscrits sur les listes électorales de la ville où habitent encore leurs parents.
Une autre partie de l’explication réside dans le fait qu’il y a un manque d’information et d’éducation aux institutions et aux élections, ce que beaucoup de jeunes déplorent, et les empêche de mesurer l’intérêt des scrutins.
Mais l’abstention des jeunes s’explique également par une défiance envers les institutions. Les affaires de corruption et scandales ont marqué la jeunesse et alimentent le “tous pourris” chez cette catégorie sociale. Ainsi, 23% des 18-29 ans disent avoir confiance en le gouvernement.
Mais pour autant, les jeunes sont engagés, et s’engagent différemment : ils n’étaient qu’un sur trois à avoir déjà manifesté en 1981, ils sont un sur deux aujourd’hui à déclarer avoir déjà manifesté ; ils sont également plus nombreux que l’ensemble de la population à être adhérents d’une association, et ils sont plus actifs au sein de celle-ci.
Enfin, les jeunes sont engagés dans le changement de paradigme du travail. L’argent n’est plus le moteur principal, et le temps réservé à la vie privée, le sens et l’éthique acquièrent une place de plus en plus importante pour eux.
Je vous conseille ce livre qui est riche en données et témoignages, et qui donne la parole à une jeunesse qui n’a que trop peu souvent l’espace médiatique pour s’exprimer.
Si vous ne pouvez pas ou ne voulez pas vous procurer le livre, voici des vidéos intéressantes à visionner au sujet du livre de Salomé Saqué :
– Chaîne youtube d’Inpower Podcast : https://www.youtube.com/watch?v=IqN4iDCNMXs&t=16s
– Chaîne youtube de C’est une autre histoire : https://www.youtube.com/watch?v=CJu2–tl2rQ